Аннотация: "Бродвейский драматург" на французском языке (перевод автора)
BOITE DE PANDORE
Personnages:
Jérémie Schneider - beau jeune homme; acteur pas très chanceux, 27 ans
Ann S. - pianiste débutante travaillant temporairement dans une société de bâtiment ; fiancée de Schneider, 25 ans
Lee Endhall - auteur dramatique et metteur en scène à Broadway
Sophie - jeune actrice participant dans nombreux spectacles d"Endhall
ACTE I
La scène a lieu dans la chambre à coucher d"un petit appartement à la périphérie de New York. Il est presque minuit. Jérémie Schneider est assis sur la chaise. Il est vêtu d"un beau costume tout prêt pour aller à la répétition nocturne : on lui a finalement proposé un rôle dans un spectacle prometteur à Broadway. Ann S. est assise sur le lit jambes pliées. Elle porte la veste chaude de la société de bâtiment " Crockaert & Co ".
Les jeunes gens écoutent un enregistrement
PREMIERE VOIX (celle d"Ann): ...tu vois, parfois j"ai l"impression qu"il n"a pas beaucoup de talent... Il ne pense qu"aux choses du genre " ouais, je vais jouer ça mais je ne vais pas être aussi bien payé qu"un tel "... Il se plaint constamment et moi, je ne sais pas quoi faire...
DEUXIEME VOIX (celle d"un homme): Oui, d'accord, peut-être il a joué un bon rôle il y a quelques années et après il est devenu un guignard... Maintenant il accuse tous ceux qui l"entourent le monde jusqu"à ce qu"il commence à les haïr. Bref, ce n"est pas à moi de te dire, tu comprends tout. Mais dis-moi, jusqu"à quand vas-tu subir tout ça ? Il est parfaitement clair qu"il est un salaud insensible !
PREMIERE VOIX: Dis pas ça! Après tout je l"ai...
DEUXIEME VOIX: Voilà ! T"es même incapable de dire que tu l"aimes. Franchement, tu te comportes comme une gosse...
Les sanglots se font entendre
DEUXIEME VOIX: Ne pleure pas, je t"en prie... Il ne mérite pas ça! Viens... Tu sais bien à quel point je suis attaché à toi...
PREMIERE VOIX: Bon, je vais... Salue Alice de ma part! Dis-lui que je lui passerai un coup de fil.
DEUXIEME VOIX: Salut, Ann. Je t"aime. T"es comme ma petite sœur.
Jérémie appuie sur le bouton d"un appareil - on dirait un pager. Le dialogue s"arrête. Sur son visage il y a une grimace de mépris, ses yeux sont vides. Le visage d"Ann exprime le surpris et la peur. Elle se précipite vers le coin du lit.
JEREMIE: Salope !
ANN: C"est quoi ça ?! D"où ça sort ?!
Jérémie prend le " pager " dans la main
JEREMIE: C"est la " ceinture de fidélité ", pour que tu saches... Mon beau petit appareil. Les bugs sont mis dans les sacs à main ou les sacs à dos ; ils s"attachent aussi bien aux ordinateurs. Puis, la " ceinture " rassemble l"information. Après tout, nous vivons dans le XXIème siècle... Vous êtes de vrais salauds tous les deux ! Surtout ton Woldemar ! Franchement, je m"en fous pas mal s"il t"ait baisé ou pas... Après avoir entendu cet enregistrement (il agite le " pager " devant le visage d"Ann) j"ai trouvé son numéro de téléphone. Pas difficile à le faire... Je lui ai dit tout ce que je pensai de lui...Me regarde pas comme ça ! Ouais... J"ai aussi bavardé avec sa petite frangine. Ton amie, c"est ça ? Gros bisous de ma part !
ANN (avec indignation): C"est odieux!
JEREMIE (caresse le " pager " en essayant de faire la mine intelligente): Chacun a droit de savoir la vérité !
ANN: Je dirais on a craché dans mon âme...
JEREMIE: Est-ce que tu possèdes une âme, toi? (ricane). Ou bien... si tu n"es pas un objet tout à fait inanimé va rendre visite au père Grant. Sa " cellule " est pleine de guignards et dingues qui ne parlent que de l"âme !
ANN (essaye d"imiter un sourire sarcastique): Et toi, t"as une âme, toi ?
JEREMIE: Tu vois, Ann... Ann... T"as un deuxième prénom si je me rappelle bien... Je ne veux même pas le dire car il est trop bon pour que tu le portes. Qu"est-ce qu"il signifie ? Est-ce que c"est l" " or " ? Ecoute-moi bien, ma petite chérie " dorée " ! Les femmes sont inanimées par défaut et sont bourrées de péchés depuis leur naissance. Une fille naît avec des milliers de péchés ! Et toi, tu n"es rien du tout en tant que femme. Quand tu seras vieille et ton petit visage sera couvert de rides, je crois que ton joli premier prénom devra être effacé de ton passeport !
ANN (horrifiée, larmes aux yeux): Ta gueule!!
JEREMIE: Tu parles à voix haute maintenant? Tout est de ta faute !! Bref... arrête de m"agacer ! J"ai la répétition là... Au moins je vaux quelque chose dans cette vie de merde, contrairement à quelques-unes qui sont parmi nous ce soir...
ANN: Oui, d"accord, peut-être c"est de ma faute mais ça ne te donne pas de droit de...
JEREMIE: Oufff... Mieux vaut que tu te taises... Les droits, les devoirs... Flux de paroles, tout ça !
Jérémie se lève, approche Ann, soulève sa jupe et commet l"acte sexuel malgré ses protestations. Puis il remonte en se refrognant
ANN: T"as l"air déçu...
JEREMIE: ... Mon corps est déçu... Imbécile ! (il crache par terre). Tu pourrais au moins me réchauffer. Une répétition importante... Mais bon, ça devrait aller... (en souriant comme s"il voulait dire " sans rancune ")
ANN (indifféremment): Je suis contente pour toi... Ecoute, comment ça se fait que je ne t"ai pas encore quitté ?..
JEREMIE: Pas encore quitté? La voie est libre... Tu sais, j"ai pitié pour toi. Tu n"auras jamais de succès ni en tant que pianiste ni en tant que quelqu"un d"autre. Tu seras toujours soi-disant " héroïne de la classe ouvrière ". Et rappelle-toi que t"es zéro, tu ne vaux rien sans moi ; plus encore, sans ma chère maman soliste à New York Opera. A vrai dire, je ne sais pas pourquoi elle t"aime autant...
ANN (perturbée): Comment oses-tu ?! Elle est gravement malade !
JEREMIE (avec mépris): Ciao ! (agite la main avec négligence)
Jérémie s"en va. Ann allume une cigarette et pleure silencieusement en étalant les larmes sur son visage
ACTE II
Jérémie pénètre dans une petite salle. C"est la salle d"un théâtre. Il regarde autour de lui mais ne voit rien : il fait noir. Jérémie se promène dans la salle en récitant l"extrait du monologue qu"il a appris pour ses essais. C"est l"extrait de " Lolita "
JEREMIE (marmonne): "... lumière de ma vie, feu de mes reins ! Mon péché, mon âme...". Mon péché, mon âme...
Tout d"un coup il entend la voix quelque part dans la salle
LA VOIX (lentement et gravement): Pas de Lolitas!
JEREMIE: Qui est là?!
Lee Endhall apparaît soudainement dans le passage entre les sièges des spectateurs. Il se dirige lentement vers la scène. Il tient dans la main une chandelière massive avec trois bougies allumées. Leur lumière n"éclaire que son visage ; le reste est caché.
ENDHALL: Je m"appelle Lee Endhall. Je suis auteur dramatique, metteur en scène et directeur artistique de cet établissement. Si jamais vous jouez un rôle dans ma pièce, nous allons passer beaucoup de temps ensemble, Jérémie.
Il approche Jérémie. Il examine Endhall : ce dernier est grand et costaud ; ses cheveux châtains descendent jusqu"aux épaules. Il est vêtu d"un habit rouge et d"une chemise d"une blancheur éblouissante avec les manchettes en dentelles. Dans l"autre main il tient élégamment sa canne
JEREMIE: Bonjour, Monsieur Endhall! (continue à l"examiner avec étonnement ). Je suis très content de vous rencontrer.
ENDHALL: Enchanté !
JEREMIE: C"est vrai que je serais heureux d"obtenir un rôle dans votre pièce. Et... pour commencer, j"ai décidé de vous réciter le premier monologue d"Humbert. Mais... (d"un ton hésitant) pourquoi avez-vous dit " pas de Lolitas " ?
ENDHALL: Mais dites-moi, qu"est-ce qui vous attire dans cette histoire ? J"ai l"impression qu"elle ne vous va pas du tout...
JEREMIE (cherche les mots): ... Vous voyez... Tout simplement, j"aime des jolies petites filles et la pureté enfantine. Vous savez, quand une femme ressemble à un enfant (montre le blanc des yeux d"un air rêveur)
ENDHALL: Je sais (avec un sourire ironique). Ecoutez, Jérémie. Pour commencer, nous allons faire quelques essais. Ils ne doivent pas être difficiles pour un jeune homme comme vous. Vous semblez intelligent, je dirais même extraordinaire...
JEREMIE (embarrassé). Je suis prêt.
ENDHALL: Mais je dois vous prévenir. Vous devrez être pénétré de ces scènes, entrer profondément dans le personnage. Vous devrez aussi le comprendre et apprendre à l"aimer. Sinon, vous risquez d"échouer. Il y a quelqu"un qui va nous aider. C"est une jeune actrice très douée qui s"appelle Sophie. Vous la verrez tout à l"heure.
JEREMIE: Et... c"est quoi comme épisodes ?
ENDHALL: D"abord... Mais bon... Si vous désirez " Lolita " on peut bien essayer de jouer un épisode. Nous allons commencer maintenant - il n"y a pas de raison de traîner... L"épisode est le suivant. " Je rêve d"une catastrophe terrifiante. Un tremblement de terre. Une explosion grandiose. Il n"y a personne à des milliers de miles autour. Lolita pousse des hurlements dans mes bras. Libéré, je la possède parmi les vestiges... "
(appelle tout bas) Sophie !..
Soudain la salle est illuminée par la lueur écarlate. Les sièges et les balcons disparaissent. Ils sont remplacés par les grands morceaux de béton et de métal, vestiges des bâtiments, verre mi-fondu. Il y a quelque chose qui fume dans le coin. Jérémie est pris d"un choc profond. Sur les ruines il voit une jolie fille brune portant une robe en lambeaux et un grand chapeau. Elle pleure. Soudain Jérémie se sent séduit par sa beauté.
Jérémie regarde autour de lui ; il a l"air très inquiet.
ENDHALL (pensivement): ... cela c"est passé au mois de septembre... C"était le jour tout à fait ordinaire au début de siècle... Commencez, je vous en prie !
Jérémie a peur mais il obéit. Il approche Sophie-Lolita, enlève son chapeau et lui caresse les cheveux ; il finit par s"asseoir à côté d"elle et l"embrasser sur la joue.
ENDHALL (en hochant la tête): Assez!! C"est pas du tout ça que je voulais voir! Vous essayez de paraître noble, Jérémie Schneider ! Où est la passion blasphématoire d"un animal ? (d"un ton sarcastique) Excusez-moi, mais j"ai l"impression qu"elle vous est bien connue !
JEREMIE (d"une voix tremblante): Monsieur Endhall, il se peut que je suis un mauvais acteur mais... Posséder cette fille séduisante dans les circonstances aussi tragiques... J"ai bien reconnu dans ces ruines le résultat des événements du 11 septembre ! Même si ce n"est qu"un rôle... Je suis incapable de le faire !
ENDHALL (d"un ton strict): Votre " grandeur d"âme " (fait signe " entre guillemets ") est tout à fait inutile ! Vous n"êtes pas prophète Jérémie pleurant sur les ruines de Jérusalem ! Imaginez une mise en scène de " Lolita " que vous aimez tant ! Imaginez la mise en scène, dans laquelle le spectateur devra voir les fantaisies secrètes d"Humbert. En plus... Cela correspond bien à une de vos fantaisies à vous, n"est-ce pas ?
JEREMIE (prêt à éclater en sanglots): Oui... Mais...
A contre-cœur, il approche Sophie, qui demeure immobile, et l"embrasse passionnément. Son regard est celui d"une nymphète : à la fois naïf et vicieux.
ENDHALL: Bon... Déjà ce n"est pas désespéré ; et pourtant, je pense qu"on ne vous croira pas.
JEREMIE: Au moins, mon personnage est un patriote !
ENDHALL (avec un rictus): Vous plaisantez ! Non, vous ne comprenez rien du tout ! Bon, on va passer au prochain épisode. Cette fois-ci tout se passera bien...
La salle plonge dans le noir. Les ruines disparaissent. Jérémie est pris par la peur. Un peu plus tard, la salle est de nouveau éclairée.
ENDHALL (en guidant Jérémie vers le miroir dans le coin de la scène): Maintenant regardez bien, Jérémie. Regardez attentivement votre image. Vous allez pénétrer une chambre de luxe, où une dizaine de jolies vierges seront prêtes à vous rendre des services les plus magnifiques. C"est un épisode tout à fait séduisant, n"est-ce pas ? (il sourit en tenant Jérémie par les épaules)
Jérémie est content de lui-même. Il regarde son image dans le miroir. Soudain, horrifié, il pousse un cri. Son visage se couvre de plaies écarlates et rides profondes. Autour de ses yeux, il voit apparaître les cercles noirs qui se couvrent de gerçures. Sa bouche se tord en dénudant les dents.
En même temps, la salle devient une chambre de luxe. Dans cette chambre, une dizaine de filles prennent les poses différentes et sourient. Toutes ont le visage de Sophie.
JEREMIE (en reculant): O mon Dieu !!!
ENDHALL: J"ai juste pensé que j"ai touché à vos rêves les plus intimes... Je croyais aussi que ce serait un épisode assez facile à jouer. A vrai dire, très souvent les grands amants n"étaient pas beaux du tout (son visage s"assombrit). Mais si vous voulez...
Endhall relâche les épaules de Jérémie et brise le miroir avec la pomme de sa canne. Toutes les Sophie disparaissent ; il en va de même avec la chambre.
JEREMIE (il touche son visage - il est redevenu normal): Je ne pourrais jamais faire ça ! Bien que (les larmes lui viennent aux yeux)... Oui, c"est vrai. Les vierges, les draps en soie... Mais je n"étais pas prêt à affronter le miroir...
ENDHALL: C"est incroyable ! Même la tâche facile vous a paru insurmontable ! J"ai juste pensé à une comédie musicale qui n"est pas si compliquée que ça... " La belle et la bête ". Dans notre cas c"était " Les belles et la bête ". Il doit toujours y avoir une possibilité d"improvisation... Je ne crois pas que vous ne pourriez pas interpréter cela ! JEREMIE (en prenant contrôle de lui-même): Mais c"est différent ! Si jamais je devais jouer ce rôle, tout se passerait de façon... comment dire... ordinaire ! Mais comment pourrait-on expliquer tout ça?!
ENDHALL (d"un ton sérieux): Il n"y a rien à expliquer ; tout est clair... Disons que c"est une répétition-marathon. Pas de temps pour vous maquiller... Quoi qu"il en soit, je commence à avoir des doutes concernant votre talent...
JEREMIE: Excusez-moi, mais vous faites des choses incroyables ! Qui que soit à ma place, il serait choqué ! (Pause). En plus, vous pensiez différemment ! Vous avez écrit cela dans la lettre à ma mère : " il est loin d"être ordinaire, il est doué "... Ne me regardez pas avec un tel étonnement ! (fièrement) J"avais droit de le lire !
Sophie entre. Endhall lui sourit
ENDHALL (avec mépris): Il avait droit !
En ce qui concerne les choses incroyables, ce n"est que vous qui les trouvez telles. Mais ce n"est pas pour longtemps. Revenons à nos moutons !
Voici l"épisode venant d"un œuvre de l"autre maître outre-Atlantique. C"est quelque chose de très instructif ! (lui donne le texte)
JEREMIE (lit le texte de l"épisode): ... "de par son apparence, il ressemblait à tous les autres invités ; pourtant, quelque chose était différent : cet invité-là était ravagé par l"inquiétude, ce qui se voyait même de loin "... " elle l"a déjà vu dans plusieurs théâtres et restaurants de Moscou "... " la rumeur a couru qu"il était celui qui se mêlait à tout "... Bon... " Aba... " Qui ? C"est bizarre comme prénom... " Abadonna a apparu devant le baron ; soudain il a enlevé ses lunettes ". C"est bien tout ?
ENDHALL (en hochant la tête): C"est tout ce que vous devez savoir.
JEREMIE: Est-ce que je peux vous poser une question ? Le protagoniste... baron Maigel... J"ai un mauvais pressentiment. Qu"est-ce qu"il va devenir ?
ENDHALL: C"est bien cela que je vous propose à interpréter. Le sentiment de l"inconnu alors que vous êtes habitué à tout savoir, même les choses qui ne vous regardent pas. Sortez de la salle et mettez votre costume ; il est sur la chaise près de la porte. C"était très gentil de la part de Sophie de le préparer. Après, entrez et regardez nous comme si vous vous inquiétiez en vous retrouvant parmi des gens respectés et respectables mais ... assez difficiles à comprendre. Est-ce que tout est clair ?
JEREMIE (en tremblant): Oui, je crois...
Jérémie quitte la salle. Endhall fait signe de tête à Sophie. Elle sourit en caressant quelque chose qu"elle cache dans sa manche.
SOPHIE: Monsieur Endhall, est-ce qu"elles sont vraies ?
ENDHALL: Elles ne sont vraies que pour son personnage et aussi... Bon, ce n"est pas important... Il sera intact !
Jérémie entre dans la salle. Il porte un habit noir et des chaussures laquées. Il essaie de marcher droit mais il titube un peu. Il regarde autour de lui l"air éperdu. Puis, il passe la langue sur les lèvres comme s"il voulait éliminer les traces de quelque chose qu"il avait bu. Il regarde Endhall et Sophie l"air effrayé.
Soudain le coup de fusil se fait entendre. Jérémie ne comprend rien, se tord et tombe par terre. Ses yeux sont ouverts : il donne l"impression d"être véritablement tué.
ENDHALL (en applaudissant): C"est pas mal ! C"est déjà quelque chose! Vous pourriez facilement devenir vedette avec ce rôle-ci !
Jérémie se lève, se secoue et met sa main dans la poche. Il y trouve un petit objet. C"est la " ceinture de fidélité ". Jérémie la sort de sa poche et y remet ; il est embarrassé.
ENDHALL: Mon cher Jérémie, la vérité se trouve non pas là-bas mais ici... (il met sa main sur le côté droit de sa poitrine)
JEREMIE (le regard fixe): Je veux partir... Je crois que j"ai changé d"avis... Je ne veux plus de ce rôle...
ENDHALL: Il ne faut pas ! (il approche et met la main sur l"épaule de Jérémie)
Je le sentiment que le triomphe vous attend ! Mais bon... On devrait commencer à répéter la pièce pour laquelle vous êtes venu. Elle est intitulée " Révélation Magnétique "...
Jérémie s"assoit par terre. Il est à bout de forces. La lumière s"éteint.
ACTE III
Endhall et Jérémie se trouvent sur le toit du théâtre ; le bâtiment s"est étiré et devenu aussi grand que le gratte-ciel à côté. Il n"y a pas de décorations : juste une ancienne chaise. Le brouillard d"avant l"aube descend sur la ville. Jérémie se tient débout en face d"Endhall ; il lit le texte de son rôle.
JEREMIE (en levant les yeux): Pourquoi sommes-nous ici ? Est-ce que la scène du théâtre n"est pas prévue pour ce genre de répétitions ?
ENDHALL: Cela n"a aucune importance. Après tout, vous ne demandez pas, pourquoi certains spectacles sont joués sur la grande scène, d"autres sur la petite et d"autres encore sont joués sous le ciel ouvert...
JEREMIE: Oui, mais... Je croyais aussi que le bâtiment n"était pas si grand.
ENDHALL (agacé): Vous croyiez... (en changeant de ton) Mais revenons à notre pièce. Tout est clair ? Vous êtes Monsieur Vankirk. Est-ce que vous vous souvenez de ce texte d"Edgar Poe ? Vankirk est atteint d"une maladie incurable. Il doit mourir. Pour soulager ses souffrances l"auteur décide de faire une séance d"hypnose, voire de " magnétisme ". Les choses que Vankirk dit à l"auteur sont des choses qu"il avait comprises en cours de sa maladie mais qui sait... Il est probable qu"il avait compris tout ça avant de tomber malade... Je vais vous aider en jouant de temps en temps le rôle de l"auteur. En route !
Pause
JEREMIE (calmement, le regard fixe): J"ai passé tant d"années au bord du coma éternel, que mon état présent ne me fait pas peur. Je suis encore jeune mais j"ai déjà dépassé toutes les limites.
ENDHALL: Quelles limites, Monsieur Vankirk ?
JEREMIE: Ma tête pense une chose, mes lèvres prononcent autre chose, mes mains font autre chose encore... Ce sont les limites du mensonge.
ENDHALL: Qu"est-ce qui ne ment jamais ?
JEREMIE: Mon corps qui est ma principale source de perception...
ENDHALL: C"est comme ça que vous pensiez avant ?
JEREMIE: Oui...
ENDHALL: Et maintenant ?
JEREMIE (d"une voix saccadée): Il y a quelque chose en moi. Ça parle, ça sonne, ça pousse des soupirs, ça siffle, ça hurle... Je ne peux pas l"expliquer ! Parfois ça se met à hurler... On dirait une alarme dans la rue... Après ça se tait. Il y a autre chose qui le remplace. Cela sème en moi la terreur mais je ne sais pas ce que c"est.
Pause
Endhall regarde attentivement Jérémie
Après, d"un mouvement brusque, il saisit le texte
ENDHALL (montre des lignes dans le texte): C"est complètement invraisemblable !!! Nous devons nous approcher de l"essentiel... Et pour nous approcher, nous devons commencer par là. Je voudrais vous dire quelque chose. Edgar Poe mettait l"accent sur l"immortalité de l"âme, alors que moi, n"ayant pas droit de mettre CELA en scène, je voudrais souligner le sujet qui est aussi très important. Il s"agit de violation des lois. Malheureusement, c"est le sujet le plus pertinent pour nous deux, Jérémie...
Pause
JEREMIE (tout bas): Comme les étoiles, qui se trouvent hors de perception des anges, tous ceux qui sont en nous, qui sont proches de nous, se trouvent hors de notre propre perception. (en haussant la voix) Mais ils sont vivants, nos prochains ! Ils vivent comme les anges qui sont invisibles pour nous ! Leur existence est indéniable !.. Et nous violons la loi en leur faisant la peine. Même si... Même s"ils ne sont que des objets pitoyables faits pour nous satisfaire ! (ses yeux brillent, il commence à transpirer) C"est quoi comme réplique ?! Il n"y avait pas ça dans le texte !!
ENDHALL: C"est bien ! Allez-y... Si vous continuez comme ça le rôle est à vous !
JEREMIE: ... " le résultat de la loi violée est imperfection, injustice, douleur positive "...
ENDHALL: Oui, Monsieur Vankirk. Nous violons souvent la loi... Est-ce que nous la violons lorsque nous tâchons d"apprendre des choses que nous ne devons pas savoir ? Qui sont pas à nous de savoir ?
JEREMIE: Oui... Maintenant je sais très bien que ce ne sommes pas nous qui menons la danse. Plus encore, il est inutile même d"essayer !
ENDHALL: Et c"est peu dire, Monsieur Vankirk. Cela peut être funeste. Lorsque Odyssée passait par l"île des sirènes, il luttait contre la tentation de s"arrêter pour écouter leurs voix divines. Elles chantaient : " Aucun marin ne passera à côté sans écouter nos chants délicieux. Après s"en avoir donné à cœur joie, il nous quitte en ayant appris beaucoup de choses. Nous savons tout. Nous savons ce que les dieux ont fait subir les grecs près de la Troie. Nous savons ce qui se fait sur terre ". Qu"est-ce qu"elles voulaient lui annoncer ? Ce qu"il ne devait jamais savoir...
Soudain un immense bateau surgit du brouillard, le vent dans les voiles. Peu après, les contours d"une île ont apparaissent ; au bord de cette île on peut distinguer la silhouette d"une belle sirène aux cheveux dorés. Elle se met à chanter d"une voix divine. On peut distinguer les mots " Est-ce que tu sais... "
JEREMIE (en tressaillant): O Seigneur ! Monsieur Endhall ! Elle a la voix de ma mère ! Son soprano c"est quelque chose que je vais toujours reconnaître ! (il commence à pleurer).
Le mirage disparaît
ENDHALL: Qu"est-ce qu"elle voulait vous dire ?
JEREMIE (les larmes aux yeux): Je sais pas... Je ne la laissais jamais entrer dans mon âme, bien que j"écoutais souvent ses conversations téléphoniques, je lisais ses lettres, surtout quand il s"agissait de moi. Je n"avais pas droit (baisse la voix). Si j"étais plus attentif elle s"ouvrirait à moi. Maintenant il est trop tard ; elle est malade et complètement muette.
Pause
ENDHALL: Et pourtant, parfois l"excès de notre pouvoir est justifié. Est-ce que vous avez déjà aimé, Monsieur Vankirk ?
JEREMIE: Personne ne sait ce que c"est, l"amour... Mais il me semble que l"amour c"est la compréhension. Il y a pourtant des salauds...
ENDHALL: "Faut pas parler comme ça! O, si cela arriverait à Odyssée, il viendrait sans peur si sa bien-aimée l"appelait... Même si ses appels étaient absolument silencieux. Malgré tout.
Plus encore, sur le même bateau, le jour même, il monterait là où ses protecteurs olympiens seraient incapables de le trouver ; après, il descendrait dans le royaume du feu et des cendres beaucoup plus terrifiant que celui d"Aïd. Sans regrets.
Et il reviendrait, plus fort, prêt à tout vaincre, parcourir le monde entier et rendre visite aux habitants de n"importe quel siècle afin de LA trouver.
JEREMIE: Pourrait-il faire tout cela ?!
ENDHALL: Il pourrait le faire, je vous assure, Monsieur Vankirk ! Pourtant, il y a quelque chose qu"il ne pourrait pas faire ; il serait incapable de tuer ou mutiler son adversaire... (Pause). Si elle ressentait pour lui quelque chose de vrai : la pitié, la passion, l"attachement... Il trouverait un autre moyen même si ce dernier lui paraîtrait douloureux... Après, il attendrait patiemment.
Pause
C"est la vraie raison pour laquelle vous êtes ici.
Pendant ce temps-ci il devient insupportablement chaud. Jérémie se couvre de sueur et met la main sur son cœur. Après, il enlève sa veste. Ceci n"apporte pas de soulagement.
JEREMIE (envahi par la peur): Parbleu !.. Pourquoi il fait tellement chaud ?!
ENDHALL : Détournez-vous, Jérémie Schneider !
Une flamme immense éclate derrière le dos de Jérémie. A l"intérieur de cette flamme on peut voir des mirages multicolores, fragments des orgies, scènes de tortures des vieux films, une femme clouée au lit, des lettres éparpillées par terre... Tout cela apparaît et disparaît tour à tour en produisant un spectacle terrifiant. Soudain on voit Ann qui se trouve sur l'échafaudage au niveau du dixième étage. Elle regarde en bas et semble être prête à sauter. Une enceinte avec les mots " Sous-traitant : Crockaert &Co " forme un cordon autour de l"échafaudage
JEREMIE (regardant l"image d"air pétrifié ; il dit tout bas la dernière réplique): "Matière indissoluble" est beaucoup plus forte que moi ! C"est aujourd"hui que j"ai commis mon dernier crime contre elle ! Il y avait si peu de temps ! Mais que les victimes étaient nombreuses !..
ENDHALL (s"assoit sur la chaise, s"appuie sur sa canne et met son menton sur les mains): Bien... Très bien...
La flamme entoure Jérémie mais ne le touche pas. Il évanouit
ENDHALL (avec satisfaction): Approuvé!... Le rôle est à vous (se lève avec peine). Remerciez le destin pour le fait qu"ELLE a été présente dans votre âme et elle vous aimait. Oui, il est possible qu"elle vous aime toujours... Maintenant c"est à moi de régler l"addition. Je suis toujours incapable de comprendre si c"est un don ou une malédiction... ...Ce quelque chose, qui me pousse à commettre tous ces actes... Mais je sais bien que j"ai abusé de mon pouvoir en tant qu"un être humain. (Pause) Mais l"amour, qui est aussi aveugle que la justice, en est la raison...
Tout d"un coup ses vêtements s"en vont en lambeaux ; son corps entier se couvre de brûlures
Il commence à faire jour. Le vent se lève.
On peut entendre de loin des voix et le hurlement de la sirène du véhicule des sapeurs-pompiers
II PARTIE. HISTOIRE D"UNE LIBERATION
I. Pasteur Grant
Cet après-midi-là Lee Endhall se reposait dans son fauteuil ; il avait l"air désinvolte. Il sirotait son whisky âgé de vingt ans et fumait un long cigare qui faisait répandre dans la pièce ce qu"on appelle un parfum des voyages. Endhall portait un manteau de velours noir avec un tas de rubis et de topazes dispersés sur le col et un pantalon noir avec une ceinture argentée. Ses yeux étaient mi-gais mi-fous malgré la tranquillité que dégageait sa personne. Oui, il était parfaitement calme malgré un épisode désagréable qui s"était passé quelques mois auparavant. Il s"agissait bien de la première triomphale de sa pièce " Révélation magnétique ", qu"il avait écrit d"après le récit d"Edgar Allan Poe. Il est à mentionner que le rôle principal y avait été joué par le jeune acteur Jérémie Schneider. Peu après la première, Schneider a épousé une belle écossaise nommée Emily McBride, après quoi il est parti pour Edinburgh où (selon les rumeurs) il a décidé d"ouvrir un orphelinat. En ce qui concerne l"épisode désagréable, il s"agissait d"un professeur des universités qui a hautement accusé Endhall d" " influencer le public en utilisant des moyens d"hypnose médiéval ( !) ". Néanmoins, le sujet de notre histoire est bien différent.
Quelqu"un a sonné à la porte. Endhall a décidé de ne pas interrompre ses occupations agréables rien que pour ouvrir. Il a pris un objet bien étrange ressemblant à une télécommande qui n"avait qu"un seul bouton. Endhall a appuyé sur ce bouton, après quoi les deux battants de la porte ont commencé à s"écarter pour laisser entrer un officier de police portant une casquette. Ses yeux dégageaient l"étonnement sincère. Il a demandé :
- Peux-je entrer, Monsieur ?
- Vous êtes déjà entré, cher ami. Je peux vous aider ?
- Vous voyez... On voudrait vous voir. C"est pour une audition des témoins ! - le policier a déclaré ceci avec une certaine fierté, comme s"il dominait entièrement ce personnage curieux dont il a eu peur au départ.
- Quelle en est la raison ?
- C"est absolument scandaleux, Monsieur Endhall ! C"est la faute à la communauté religieuse " Frères du dernier seuil "... Leur comportement est odieux ! Tout a commencé avant-hier, lorsque le chef de la communauté, pasteur Grant, a grimpé au cinquantième étage du bâtiment juste en face, après quoi il a commencé à revendiquer une sanction de l"ONU pour... précipiter la fin du monde. Pourtant, il n"a pas précisé quelles mesures devraient être prises afin d"atteindre cet objectif. Il a menacé de se jeter sur le trottoir en compagnie de cinq adeptes du mouvement en cas de refus de la part des Nations Unies. Pendant ce temps-là, les cinq malheureux chantaient des gospels. Plus tard, ils ont branché les haut-parleurs et se sont mis à chanter le tube de Shakira " Underneath your clothes ", ce qui a semé la terreur parmi les jeunes mères qui promenaient leurs petits dans le Central Park.
- Vous avez raison... C"est scandaleux. Mais encore une fois, pourquoi avez-vous besoin de moi ?
- Monsieur Endhall, - le gardien d"ordre public se gonflait de fierté. - On est en train d"interroger le père Grant. Le pauvre a toujours les mains qui tremblent... Bon, il répète sans cesse votre nom. Il parle d"une réunion qui a eu lieu avant-hier. Les membres de la communauté ont apporté les plats mexicains, du genre... tortillas, guacamole, viandes grillées. Vous étiez présent à cette réunion, n"est-ce pas ?
- Oui... C"est vrai. J"ai insisté qu"on offre à chaque invité un verre de tequila. Néanmoins, le pasteur a prononcé son " strictement interdit ". Maintenant je suis tout à fait convaincu que cela leur aurait fait du bien...
- Oui... Je répète, Monsieur Endhall, que Pasteur Grant mentionne sans cesse votre nom.
- Bon... Je pense que je comprends tout ça. Ce sermon-là a tellement excité le pauvre pasteur qu"il a commencé à imaginer des choses... Et je vous jure, dans cet état-là il est tout à fait possible de créer les images les plus impensables d"après les choses tout à fait insignifiantes. Mon expérience me l"a bien démontré. Pourtant, je crois que le pasteur a exagéré...
- Il n"était pas le seul ! Vous avez déjà entendu l"histoire de cinq chanteurs suicidaires malchanceux. Le reste vous sera raconté par notre enquêteur. Allons-y ! Vous avez droit de ne rien dire ; tout ce que vous direz pourra être utilisé contre vous pendant le procès, - le policier a prononcé le texte appris par cœur avec la joie qui est propre aux petits enfants lorsque ceux-ci gagnent en jouant au cache-cache.
En fait, Lee Endhall ne voulait rien dire. Il s"est levé en mesurant le représentant de l"Etat d"un regard tel que ce dernier a tout de suite regretté qu"il ait franchi le seuil de l"appartement de l"ouvreur de théâtre. Pourtant, juste après, Endhall lui a adressé son doux sourire.
- On n"y peut rien... Je suis à vous.
Un quart d"heure plus tard, l"officier de police a introduit Endhall à l"enquêteur. Ce dernier l"a mesuré d"un regard sérieux en demandant :
- Monsieur Endhall, savez-vous ce qui vous attend en cas de mensonge?
- Je sais, - Endhall a sourit.
- Nous pouvons commencer alors... Sergent Davis vous a raconté brièvement ce qui s"était passé...